Luxe sur Amazon : quand les digues vont-elles céder ?
Personnellement, je n'irai jamais acheter quelque chose sur Amazon qui puisse représenter mon individualité, comme c'est le cas d'un produit de luxe (...) Je pense que les consommateurs du luxe cherchent à vivre une vraie expérience lorsqu'ils achètent l'un de ces produits
Le discours de Ian Rogers fait figure de consensus dans le monde du luxe. Comme lui, les décideurs des marques de luxe peinent à se mettre au e-commerce et, plus largement, à Amazon. Les ventes en ligne du luxe ne représentent que 8% du total du chiffre d’affaires du monde e-commerce selon le réputé Boston Consulting Group. C’est très peu. La raison : une peur irrationnelle et paradoxale de la contrefaçon, de perdre leur image de marque et d’être moins rentables.
Les deux mondes semblent inconciliables : Amazon apparaît bien souvent comme un lieu où se vendent librement des produits imités et simplement comme un lieu pas assez premium. D’un autre côté, le monde du luxe snobe la vente online et les marketplaces de Jeff Bezos.
Tout ça pour en arriver où ?
À un retard général de la filière sur les ventes online et à un manque à gagner gigantesque pour tout le monde. Et s’il était temps de faire sauter les barrières ? Et s’il était temps… de se mettre à Amazon ?
Pourquoi Amazon est (dès aujourd’hui) adapté au luxe.
La situation sur les Marketplaces n’est pourtant pas si noire que ce qui est couramment sous-entendu et ce qui sert d’excuse aux marques de luxe pour conserver leur retard.
Les outils d’Amazon permettent aux marques de supprimer les produits contrefaits de manière manuelle ou proactive. Nous décrivons ces outils très puissants plus en détails dans un article dédié. En résumé, être détenteur des droits d’une marque permet de l’y inscrire au Brand Registry, qui lui-même permet l’accès aux programmes d’Amazon.
La première excuse des marques de luxe est donc peu pertinente : si leurs produits sont contrefaits sur Amazon, c’est aussi parce qu’elles ne tirent pas parti des outils mis à disposition par la plateforme. Certains ne nécessitent même pas une veille active de leur part : les marques de luxe ont leur part de responsabilité dans l’histoire.
Autre point : on entend qu’Amazon laisserait “exprès” des produits contrefaits sur la marketplace. Ici aussi, le raisonnement pose problème. Il n’y a aucun intérêt pour Amazon de laisser ses vendeurs commercialiser des produits contrefaits, simplement pour soigner l’image de marque qu’Amazon a mis des années à développer. Se donner l’image d’un marché sans règle, c’est perdre le consommateur.
Plus généralement, la question de la contrefaçon pose aussi celle de la violation de la propriété intellectuelle et du droit de marque. En Allemagne, Coty reprochait à Amazon de porter atteinte à ses droits en commercialisant en Europe des produits que la marque n’avait pas encore lancés sur ce marché. Après des mois de délibération, la Cour fédérale de justice allemande a tranché... concluant qu’Amazon ne violait pas les droits de Coty.
Mais alors, quelle est la solution ?
C’est simple. Être présent sur Amazon, c’est aussi garder un contrôle sur ses prix et son image de marque en tant que vendeur identifié et réputé. Amazon fournit un panel d’outils très large aux marques pour qu’elles puissent y développer leur contenu et leur image. Pour Coty, il aurait été plus simple d’être présent sur Amazon et de contrôler son image que de recourir à la justice, pour finalement perdre le procès après des mois d’attente.
Les fiches produits sont de plus en plus qualitatives sur Amazon, pareil pour les boutiques de marque et les solutions publicitaires de la marketplace. Tout est déjà là !
La fiche produit des calendriers Harry Potter Cinereplicas, réalisation Bizon. Numéro 1 de leur catégorie.
C’est aux marques d’utiliser ces outils pour faire briller leur univers. Avant de parler contrefaçon de produits et dégradation d’image de marque, encore faut-il déjà tout mettre en œuvre sur la plateforme pour améliorer son image.
De son côté, Amazon investit massivement dans la lutte contre la contrefaçon. On sait que depuis le début, la firme a injecté 400 millions de dollars dans le programme Project Zero, qui scanne quotidiennement les millions de produits disponibles sur la marketplace pour débusquer les produits contrefaits.
Quand on lit qu’Amazon serait négatif pour l’image des marques de luxe, nous répondons qu’au contraire, être sur Amazon est une connexion de plus avec leurs consommateurs. Une étude du Boston Consulting Group montrait déjà en 2016 que les clients des marques de luxe attendent une expérience omnicanal… et on vous laisse deviner qui est leader sur les ventes en ligne.
La relation entre Amazon et les marques de luxe existe déjà (et s’accélère).
Les premiers à s’y mettre seront les grands vainqueurs.
Contrairement à ce que semblent penser certaines maisons, le luxe est d’ores et déjà installé dans l’univers d’Amazon. On a ainsi vu Tom Ford et Save x Fenty (marque possédée par la très célèbre Rihanna) dévoiler leurs collections respectives au travers de défilés diffusés en direct et exclusivement sur Prime Video. De la même façon, la collection printemps/été 2021 de Burberry éclatait début septembre au grand jour… en direct sur Twitch, plateforme de streaming appartenant à Amazon. Un partenariat entre Vogue et Amazon Fashion avait aussi été dévoilé pour aider les designers précarisés par la crise du COVID-19.
Allons-nous pour autant vers une commercialisation des produits de luxe sur Amazon ? La réponse est oui. Bien avant tous ces partenariats, Amazon initiait en toute discrétion son lancement dans le luxe en lançant fin 2019 VRSNL (pour “Versional”), un e-shop de prêt à porter de luxe. Le site présente aujourd’hui des pièces signées par une trentaine de maisons, dont Gucci, Prada, Bottega Veneta ou encore Dolce & Gabanna. Autant dire, de très grands noms.
Côté boutiques de luxe, on observe une profonde inspiration dans les méthodes de ventes d’Amazon. Comme le titre Forbes, la “customer intimacy” s’invite à présent dans le luxe. Personnaliser leur offre, entretenir des rapports privilégiés avec leur clientèle, innover… Amazon rabat les cartes du e-commerce. C’est une question de temps avant que le luxe investisse Amazon.
Un an après le lancement de VRSNL, Amazon intègre des Luxury Stores à son application mobile, accessibles sur invitation et permettant aux grandes marques d’accéder à des boutiques enrichies et indépendantes pour proposer au consommateur une expérience Premium. La première marque à se lancer était Oscar de la Renta, se payant la très convoitée Cara Delevingne dans son spot de lancement.
Il faut aussi rappeler qu'Amazon représenterait 32% des ventes online de produits de beauté.
Image : Amazon / Oscar de la Renta / Vogue
Les Luxury Stores sont une boutique dans la boutique… À la manière des établissements de luxe dans un quartier commercial.
Le lancement des Luxury Stores témoigne d’une chose : Amazon se prépare à intégrer le luxe directement sur sa marketplace. Ces boutiques haut de gamme accessibles sur invitation font office de bêta test : très bientôt, le grand public se rendra très probablement sur Amazon pour acheter du prêt-à-porter de luxe… et à ce moment-là, les marques présentes auront tout gagné.
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